Cahier de Mondial 2018 – Entrée #2 : “Pars vite et marque tard…”

Nous sommes le mardi 15 juin 1943 dans le nord du IXè arrondissement de la capitale. À quelques pas du Bus Palladium, au numéro 3 d’une voix privée – la Cité Malesherbes –, se dresse la clinique Villa Marie-Louise. Il est 13 heures et derrière les murs (il y a… TIN, TIN, TIIIN), Jean-Philippe Clerc pousse son premier cri. Peut-être l’un des moins généreux en décibels de son existence, mais à cet instant précis, nul ne peut s’en douter. Le fils d’Huguette Clerc et de Léon Smet ne s’appelle pas encore Jean-Philippe Smet. Il est un peu plus de 13 heures à présent, le nouveau-né savoure son premier biberon. Il est un peu plus de 13 heures et l’idole déjeune… Je ne suis pas là pour réaliser l’exégèse de la vie et de l’œuvre de (Allumer le) feu Johnny Hallyday, d’autant plus qu’il n’y a strictement rien à gratter du côté de l’héritage. Si j’évoque le chanteur, c’est parce que parmi les centaines de titres qu’il a interprétés se trouve Requiem pour un fou. Dans le texte que l’on doit à Gilles Thibaut – auteur inspiré de Comme d’habitude, un bijou –, on peut lire au détour d’un couplet : Le diable est passé de bonne heure. Ce n’est pas toujours le cas. Parfois, le malin attend patiemment le dernier moment, tapi dans l’ombre, afin de subtiliser le moindre espoir animant encore sa victime. Ce fut le cas ce vendredi 15 juin 2018, jour qui aurait dû être celui du 75è printemps du papa de David, Laura, Jade et Joy. Le destin des 3 rencontres de la journée a, à chaque fois, basculé dans les ultimes minutes, voire les arrêts de jeu. De quoi refroidir de malheureux Égyptiens, Marocains et Espagnols. Ça ne surprendra personne que le 15 juin soit également le jour de naissance d’O’Shea Jackson, Sr., lui dont le pseudonyme n’est autre qu’Ice Cube…
Mais tout n’est pas cirrhose dans la vie, comme disait Frédéric Dard. À commencer par les pages des carnets… C’est encore un 15 juin, en 2002, que nous avions en effet appris le décès de l’arbitre marocain, M. Saïd Belqola. Il avait officié lors de la finale de la Coupe du monde 1998, au cours d’un match anecdotique qui avait vaguement imprimé la mémoire collective tricolore. Quelques mois plus tôt, il avait également dirigé la finale de la Coupe d’Afrique des Nations opposant l’Afrique du Sud à l’Égypte. Une rencontre conclue par la victoire des Pharaons 2-0, empochant la quatrième couronne continentale de leur histoire. Sur le banc de la sélection égyptienne en cet après-midi de février, le portier remplaçant porte le numéro 16. Il s’appelle Essam El-Hadary, il a 25 ans depuis un mois et demi et 12 petites sélections. 20 ans, 3 mois et 15 jours plus tard, nous voici à Iekaterinbourg. Les Pharaons s’apprêtent à faire leur entrée dans la compétition. Sur le banc de la sélection égyptienne en cet après-midi de juin, le portier remplaçant porte le numéro 1. Il s’appelle Essam El-Hadary, il a 45 ans depuis 5 mois et 159 sélections. S’il entre en jeu d’ici la fin du tournoi, il deviendra le joueur le plus âgé à disputer un match de Coupe du monde – statistique hors taxe, tout le monde sait que Roger Milla détient le record TTC.



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ÉGYPTE 0-1 URUGUAY / GIMENEZ 89’

La Iekaterinbourg Arena est un complexe particulier : pour en augmenter la capacité, à la demande de la FIFA, 2 tribunes ont été construites sur des échafaudages à l’extérieur du stade. Un peu dedans, un peu dehors, c’est la tribune de Schrödinger… Ironie du sort pour ce premier match, le stade sonne creux ! C’est dommage, on aurait bien aimé avoir les cris en plus de l’Oural…

Le 15 juin, c’est aussi la Journée mondiale de lutte contre la maltraitance des personnes âgées. En conséquence, Héctor Cúper a laissé le vétéran El-Hadary sur le banc, lui évitant de se confronter aux avants de Salto, Edinson Cavani et Luis Suárez. Pas de cadeau, en revanche, pour Mohamed Salah le jour de ses 26 ans. De retour de blessure, le héros national est remplaçant et ne disputera pas la moindre minute. Comment est votre banquette ?

Le début de match est à l’avantage des Sud-américains. Lancé idéalement à 2 reprises par Cavani, Suárez bouffe la feuille en butant sur El-Shenawy. L’attaquant du Barça a les crocs. L’Italie ayant manqué de se qualifier, il doit trouver un substitut à l’épaule de Chiellini pour planter ses canines. Le procès verbal de la rencontre semble faire l’affaire, c’est un camouflet terrible pour la gastronomie transalpine.

Sur l’action suivante, les rôles sont inversés : après un une-deux, Suárez remet de la tête à Cavani. La volée soudaine du Matador est superbement détournée main opposée par le gardien égyptien. 5 minutes plus tard, son coup franc placé est à nouveau repoussé par El-Shenawy sur son montant.

La délivrance intervient au bout du temps règlementaire. Sur un coup franc côté droit botté par Sánchez, Giménez à la lutte avec 2 adversaires parvient à trouver le petit filet d’un coup de boule. (0-1)

C’est la première fois depuis l’édition 1970 que l’Uruguay débute par une victoire. Même Essam El-Hadary n’était pas né. C’est dire…


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MAROC 0-1 IRAN / BOUHADDOUZ (CSC) 90’+5

Un coup franc côté gauche quasi-symétrique à celui obtenu par l’Uruguay. Une frappe plongeante. Une tête, plongeante elle aussi, au premier poteau. But. Le buteur est marocain, il ne manifeste pas sa joie. Et pour cause, il vient de tromper son propre gardien. Il s’appelle Aziz Bouhaddouz et vient bien involontairement de jouer un très mauvais tour à sa sélection. Au moins aussi mauvais que le calembour qui me brûle les lèvres : avec Bouhaddouz, l’Iran joue à douze. (0-1)

Réussite maximale pour la Tim Melli qui peut s’estimer heureuse. On connaissait le Shah d’Iran, on vient de découvrir sa compagne…


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PORTUGAL 3-3 ESPAGNE / RONALDO (P) 4’, 44’, 88’, COSTA 24’, 55’, NACHO 58’

Le 17 novembre 2010, le Portugal accueille l’Espagne à Lisbonne pour une rencontre amicale. Une revanche officieuse du 1/8è de finale du Mondial sud-africain remporté par les hispaniques il y a 4 mois et demi. À quelques encablures de la mi-temps, le score est toujours nul et vierge. Lancé par Carlos Martins côté gauche, Cristiano Ronaldo accélère, pénètre dans la surface, élimine Gerard Piqué d’un crochet derrière sa jambe d’appui, se joue du retour de Xabi Alonso d’une caresse de la semelle avant d’armer une louche  de l’extérieur du pied droit qui va finir sa course dans la cage d’Iker Casillas, lobé. Du moins le croit-on. Avant que la sphère ne franchisse entièrement la ligne, elle est reprise de la tête par Nani qui l’accompagne au fond des filets. Problème : l’ailier de Manchester United est signalé hors-jeu, le but est donc refusé et CR7 furieux. La maladresse d’Herr Nani a involontairement sauvé l’honneur du Castillan. 8 ans plus tard, les 2 formations de la péninsule ibérique se retrouvaient à Sotchi, avec 3 semaines de retard sur la Fête des voisins. On ignore si CR7 a conservé cette rancœur si longtemps. On peut raisonnablement être enclin à le penser, vu la performance 3 étoiles du quintuple Ballon d’or.

La seule fois de ma vie où je suis descendu dans la cour de mon immeuble pour la Fête des voisins, j’ai découvert qui étaient les voisins en question. Portugais et Espagnols n’ont pas eu besoin de ce temps d’observation. À peine quelques minutes de jeu et CR7 s’approche déjà du buffet en quête de cacahuètes grillées salées : passement de jambe, et faute de José Ignacio Fernández Iglesias, dit Nacho – son coéquipier en club – pour qui ça va déjà trop vite. Pourtant, avec un nom pareil, on miserait tout sur lui à l’apéro… Malgré son astucieuse technique de dédouanage (faire faute avec la jambe et lever simultanément les bras au ciel), l’arbitre n’est pas dupe. Penalty obtenu et transformé par Cristiano Ronaldo dos Santos Aveiro, dit Cristiano Ronaldo, qui prend tranquillement David de Gea Quintana, dit David de Gea, à contre-pied. L’ancien joueur de Manchester United et actuel joueur du Real trompe l’actuel joueur de Manchester United et ex-futur joueur du Real. (1-0)

20 minutes plus tard, Sergio Busquets i Burgos, dit Sergio Busquets, balance un ballon long comme son patronyme à destination de Diego da Silva Costa, dit Diego Costa. Ce dernier administre un crochet du coude du gauche à Képler Laveran Lima Ferreira, dit Pepe, avant d’enchaîner un contrôle orienté, une paire de crochets (du pied, cette fois-ci) pour mettre l’arrière-garde lusitanienne sur sa partie la plus charnue et un tir croisé précis. D’aucuns soulèvent de la fonte, Diego Costa la met au sol. (1-1)

20 minutes plus tard, Gonçalo Manuel Ganchinho Guedes, dit Gonçalo Guedes, à la réception d’un ballon long comme son patronyme, élimine son défenseur d’un contrôle orienté de la cuisse et décale Cristiano Ronaldo dos Santos Aveiro, dit Cristiano Ronaldo, qui frappe du gauche plein axe. Un tir qui semble inoffensif pour David de Gea Quintana, dit David de Gea. Las, le portier troque son rôle de dernier rempart pour celui de directeur sportif mancunien militant pour le retour du numéro 7 à Old Trafford. (2-1)

C’est la mi-temps. Juste après son égalisation, l’Espagne aurait pu reprendre l’avantage sur une sublime demi-volée de Francisco Román Alarcón Suárez, dit Isco, retombée sur la ligne de but. Ce n’est clairement pas la soirée d’Isco…

10 minutes après le retour des vestiaires, David Josué Jiménez Silva, dit David Silva, botte un coup franc vers le troisième poteau et trouve la tête de Sergio Busquets i Burgos, dit Sergio Busquets. Le milieu du Barça remise pour Diego da Silva Costa, dit Diego Costa qui signe un doublé de près. (2-2)

Encore une action loin des canons espagnols. Le jeu léché de la Roja va à vau l’eau, dans les abîmes du lac Tiki-taka…

Si l’histoire ne se répète pas, elle bégaie. Comme lors du premier acte, l’Espagne va disposer d’une occasion de reprendre l’avantage quelques minutes seulement après avoir égalisé. Comme lors du premier acte, elle viendra des pieds d’un joueur du Real. Comme lors du premier acte, le ballon heurtera le montant. La comparaison s’arrête là : José Ignacio Fernández Iglesias, dit Nacho, en équilibre parfait à l’entrée de la surface, expédie une merveille de demi-volée dans le soupirail de Rui Pedro dos Santos Patrício, dit Rui Patrício. (2-3)

Alors que la nation qui occupe 85% de la péninsule ibérique pense se diriger vers une courte victoire, CR7 obtient un coup franc aux abords de la demi-lune. La faute, stupide, est signée Gerard Piqué Bernabéu, dit Gerard Piqué. Il reste 2 minutes à jouer dans le temps règlementaire, Cristiano Ronaldo, concentré, prend quelques brèves respirations avant de s’élancer. La suite, vous la connaissez, a fortiori si vous êtes arachnophobe. Vous pourrez désormais arpenter la cage du stade olympique Ficht de Sotchi en toute sérénité. (3-3)

La version officielle veut que le paratonnerre ait été inventé un 15 juin – en 1752. 266 ans avant que Cristiano Ronaldo ne démontre son inutilité en foudroyant l’Espagne. Prends ça, Benjamin Franklin !

À тантôт…

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