Cahiers de cinéma - Entrée #13…

This is the End (C’est la Fin) (2013) d’Evan Goldberg & Seth Rogen
“Seth, that's some of the better acting than I've seen in your last six movies. Where the fuck was that in Green Hornet?”
Généralement, les références “métas” laissent un peu les spectateurs non-initiés sur le bord de la route, à l’image d’une private joke qui n’aurait de sens que pour quelques affranchis. Ici, c’est la crainte légitime que l’on pouvait avoir d’autant que bien plus qu’un clin d’œil, c’est l’intégralité du film qui est basée sur ce principe. Les acteurs jouent en effet leur propre rôle et se vannent mutuellement sur leur carrière respective faisant preuve d’une autodérision appréciable. C’est évidemment plus sympa d’avoir une petite idée de qui ils sont/ce qu’ils font avant d’y aller, mais pas nécessairement : il y a aussi une force comique irrésistible qui va au-delà et qui devrait permettre à tout le monde d’y trouver son compte. Tout le monde à l’exception du grand Hollywood qui se voit égratigné par cette satire marquant l’émancipation définitive de l’ex-bande à Apatow. C’est suffisamment rare de voir des comédiens “en vue” ne pas se prendre au sérieux à ce point et, en tant que spectateur, de rire aux larmes pour le signaler !

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Don Jon
(2013) de Joseph Gordon-Levitt
Jon Q
Jon, italo-américain gominé et tombeur, est accro au porno. Il enchaine les conquêtes d’un soir jusqu’au jour où sa route croise celle de Barbara, friande de comédies romantiques. Pour la première fois, il semble développer des sentiments au point de remettre en cause son mode de vie. Ou du moins essayer…
Pour mettre en scène son premier long derrière la caméra et ce pitch plutôt engageant, Joseph Gordon-Levitt a choisi de respecter à la lettre un schéma narratif ultra-classique. Sous couvert d’une addiction au porno, c’est en fait de la peur de s’engager, de prendre ses responsabilités dont il s’agit en même temps que de la difficulté à avoir des relations – quelles qu’elles soient – avec les autres. Là où Rémi Bezançon avait utilisé la peur de l’avion, ici ce sont les sirènes des films “pour adultes”.
Sinon, il y a pas mal de trucs cools dans le film. Le premier, c’est le comique de répétition qui émane du quotidien parfaitement huilé du héros (trajet église-confessionnal-salle de muscu, séquences de drague en boîte et de plaisir solitaire) qui va connaître quelques variations à mesure que la situation évolue. Il y a également une scène géniale où Jon sort des toilettes et veut s’essuyer les mains après se les être lavées, sauf qu’il n’y a plus de papier dans le dispensaire. Ça n’a l’air de rien, mais cela fait écho à plusieurs séquences de masturbation frénétique qui s’achèvent par le jet d’un essuie-tout dans la poubelle. Des petites choses comme l’éclair du personnage de la sœur qui ne dit rien tout du long pour balancer une remarque pleine de lucidité, un peu comme la tirade de Michael Shannon dans Les Noces Rebelles.
Au rayon des références, ceux qui ont vu le génial (500) jours ensemble noteront une étonnante similarité entre les rôles tenus par Joseph Gordon-Levitt dans les deux films dans la façon qu’il a de se conforter dans l’illusion avant finalement de se réveiller. Car au-delà des thèmes évoqués plus haut, Don Jon est aussi un film sur les illusions qui nous bercent : Barbara et Jon ont des attentes faussées à propos des relations à cause de leur addiction respective aux romcoms et au porno.
Au passage, le fantasme collectif autour de Scarlett Johansson/Piggy la cochonne que je n’ai jamais vraiment bien saisi risque de prendre un sacré coup dans l’aile vu la tronche qu’elle arbore…

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Inside Llewyn Davis
(2013) d’Ethan & Joel Coen
Offrez-vous l’imperfection, c’est moins cher !
Le principe du road movie, c’est de faire avancer le personnage, géographiquement par définition, mais aussi intérieurement, l’âme faisant plus ou moins le même trajet que les pieds. Ici, le voyage est immobile, l’odyssée statique et si le Llewyn Davis en question bouge beaucoup, il n’avance pas comme en témoigne sa réplique étonnée à son retour de Chicago, pensant que sa brève escapade avait duré plusieurs jours. Un chanteur folk loser qui erre dans le Greenwich Village des années 60, ça tranche avec toutes les comédies US actuelles dont les héros ont la jeune vingtaine, sont chefs de rubrique de magazines branchés et propriétaires de lofts indécents. Ça tranche d’ailleurs avec les comédies tout court car l’humour, s’il est omniprésent, n’est pas scripté, il naît de situations dont seuls les frangins ont le secret ou de personnages secondaires théâtraux (John Goodman en jazzman puriste, Garrett Hedlund en ersatz de James Dean…) qui disparaissent après leur tour de piste. À peu de choses près (Burn after reading, Intolérable Cruauté), j’adore le cinéma des frères Coen. Si j’ai toujours aimé leurs films, aucun ne m’avait véritablement touché. Il aura fallu attendre quasiment 30 ans après leur premier essai pour ça grâce à des chansons folk belles à en pleurer et les déambulations d’un chat roux qui cristallise tout l’affect au nez et aux vibrisses de tout le cast. Pourtant, il y avait fort à faire face à la révélation Oscar Isaac qui traîne magistralement sa voix et son ironie amère et Carey Mulligan encore touchante. Dans la vraie vie, il y a aussi des gens paumés qui croient en leurs rêves mais font parfois (souvent) les mauvais choix. Qui ne savent pas forcément ce qui est bon pour eux, et ne le verraient pas même si à la sortie d’une autoroute les attendait un beau village illuminé. Ce film, c’est une déclaration douce-amère qui leur est faite, tendre, sincère, touchante, superbe…

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Gravity
(2013) d’Alfonso Cuarón
Dans l’espace, personne ne vous entend scénariser.
Don’t believe the hype
: y’a certainement plus de compliments sur l’affiche de Gravity que de lignes dans son scénar. C’est évidemment faux, mais cette attaque gratuite est un avertissement, une mise en garde qui vous est destinée autant qu’une note personnelle parce qu’à chaque fois je me fais avoir. Bon, ce coup-ci j’étais quand même consentant : j’adore Cuarón, je trouve que Les Fils de l’Homme est un putain de film et son Harry Potter est de loin mon préféré de la série. Seulement voilà, le mec a décidé de filmer des trucs que même Besson n’aurait pas osé : le plan en position fœtale pour figurer “““““subtilement””””” l’idée de renaissance, la raquette de ping-pong qui flotte dans la station chinoise, la vodka planquée dans la capsule russe, le Bouddha pour la spiritualité et j’en passe, je ne vais pas tout spoiler non plus... Incompréhensible qu’un cinéaste aussi intelligent ait laissé passer de tels lieux communs et des incohérences aussi énormes que le boulot technique qui a été abattu. Car à ce niveau, c’est réussi – au moins dans la première partie – et proprement hallucinant : les plans sont fous, la caméra virevolte, imprévisible, et finit par rentrer dans le rang en même temps que le film commence à dérailler. Après c’est une longue errance comme celle de Sandra Bullock jusqu’à ce dernier plan immonde qui sert le propos mais apparait racoleur comme c’est pas permis… Une exceptionnelle première partie, une deuxième catastrophique, si c’était une copie de lycéen, une prof de ZEP aurait probablement mis la moyenne. Pas moi...

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Prisoners
(2013) de Denis Villeneuve
Filière séquestre
C’est sûrement très bien vu ce que tout le monde en a dit, mais j’ai commencé à décrocher quand je me suis rendu compte que je comprenais les tenants et les aboutissants avant les types qui étaient censés le faire dans le film. J’ai donc passé le reste du temps à admirer la performance de Jake Gyllenhaal (dont le personnage est baptisé Loki, preuve que les mecs sont à fond dans la déconne) et à trouver stupéfiante la ressemblance entre Hugh Jackman et Julien Cazarre. Arriva le dénouement qui rappellera des souvenirs émus aux fans de James Cameron…

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9 Mois ferme
(2012) d’Albert Dupontel
Ariane perd le fil
Quand il a envoyé bouler Laurent Bignolas il y a quelques années, je me suis dit qu’il était sacrément gonflé Dupontel. Je ne connaissais pas grand chose du bonhomme, ne l’ayant aperçu que dans de petits rôles, occultant – bien involontairement – sa filmo de réalisateur. Puis le temps d’un film, le superbe Deux Jours à tuer, j’ai été touché par sa composition, m’intéressant de plus près à ce trublion que j’ai eu la chance d’écouter lors d’une récente masterclass. J’ai découvert quelqu’un d’absolument passionnant et passionné pour user d’une expression galvaudée. Un comédien/metteur en scène fantaisiste, amoureux de son métier et fana complet de cinoche. En vrai, l’opération séduction avait débuté quelques jours auparavant avec son dernier opus qui est à l’image de son créateur. Il l’a porté plus de 9 mois, ce nouveau-né hilarant, inventif, bordélique, too much, cartoonesque, rythmé, tendre, poétique… Sandrine Kiberlain et son potentiel comique irrésistible volent la vedette à un Albert Dupontel qui paraît presque sage en comparaison. C’est qu’il a mis sa folie au service d’un scénar qui regorge de perles (toute la partie autour de la vidéo de télésurveillance, les scénarios de reconstitution du “crime” qui varient selon les versions données, le témoignage d’Ariane et le mime savoureux devant un tribunal choqué, etc.) Pas radin, il a aussi fait venir ses potes qui tapent le carton dans des cameos sympas (Kounen, Gilliam et Dujardin l’interprète en langue des signes) et réservé au fidèle Nicolas Marié le rôle désopilant de l’avocat bègue auteur d’une réplique tout sauf anodine : “Mon client est un grand enfant. Malade, certes, mais un grand enfant !” C’est qu’Albert Dupontel est capable, entre deux moments de comédie gore, de caler une scène pleine de douceur et de poésie où son personnage se penche pour écouter à la porte aux côtés de celui de Sandrine Kiberlain, la perspective du cadre laissant penser qu’il va l’embrasser…

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L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet
(2013) de Jean-Pierre Jeunet
(Rail)road movie
S’il n’était pas tenu par le titre original du bouquin qu’il adapte ici, ni séduit par le clin d’œil qu’un long titre représente à une certaine œuvre de sa filmo, Jean-Pierre Jeunet aurait pu appeler son film I love America. Patrick Juvet est déjà passé par là et Jeunet ne fait rien comme tout le monde, au point de tourner sa déclaration d’amour aux USA au Canada avec un seul acteur américain (états-unien) : le rôle-titre. C’est son fonds de commerce, d’être différent, d’être inventif, comme son héros. Pas difficile dès lors de voir ce qui l’a séduit dans ce projet. En tout cas, c’est très beau, comme souvent, la 3D est justifiée au moins par tous ces schémas en incrustation, projection du cerveau d’un gamin surdoué, et même si on est moins transporté que sur des opus précédents, il y a toujours des petits trésors offerts au spectateur cf. cette séquence éphémère où les mains des parents de T.S. se frôlent “comme s’ils échangeaient des billes” au moment où ils se croisent dans le couloir de la maison…

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The Immigrant
(2013) de James Gray
Ewa jolie
Dans mon panthéon perso dont je parle souvent ici, il y a James Gray. Très haut. Il est un peu redescendu avec son biopic de Leonarda version anachronique option rêve américain. On va s’en débarrasser de suite : l’interprétation est au top, à commencer par Marion Cotillard et Joaquin Phoenix. Plus haut, c’est le soleil. Derrière, le petit Renner rame, oublié qu’il a de rapporter son charisme des trucs écervelés où il l’a abandonné. Esthétiquement, c’est aussi très joli cette photo sépia et il y a comme toujours de jolies choses (Cotillard qui s’enfonce dans l’obscurité du confessionnal comme Phoenix dans le couloir du labo de drogue dans La Nuit nous appartient) et des citations (les sempiternels plans de Phoenix de dos). L’histoire est un salad bowl entre pas mal d’éléments de l’histoire perso du réal, mais ne prend pas selon moi. Tout ce que j’aime dans le cinéma du sieur Gray habituellement, à savoir la tension, le malaise, sont absents à de très rares exceptions et on a du mal à se passionner pour le destin des personnages. Ce n’est que mon avis, mais le style classique intentionnel de son film que lui-même qualifie d’opératique ne lui sied pas. J’ai lu une critique disant qu’il s’agissait de son film le plus ambitieux, pour moi c’est surtout le moins réussi…

The-Immigrant-poster


Prince Avalanche
(Prince of Texas) (2013) de David Gordon Green
Two for the road
725 000$, c’est ce qu’a coûté ce petit bijou. À l’heure où j’écris ces lignes, il a dû sauter de presque tous les cinoches qui en possédaient une copie. C’est bien dommage pour l’un des meilleurs (le meilleur ?) films de l’année. Je serais bien incapable de vous le décrire tant il est riche et pourtant, on parle d’une tranche de vie de 2 mecs qui bossent dans les bois loin de la ville, loin de tout. Il y a quelque chose de fascinant et de déroutant dans l’inversion des rôles : Hirsch fait le guignol, Rudd le clown triste, moustaches et salopettes à la Mario et Luigi. Une façon comme une autre de dire qu’on ne saura jamais vraiment sur quel pied danser. Les scènes rigolotes alternent avec des moments d’une beauté bizarre (la rencontre avec la vieille femme) ou brute (le coup de téléphone et son montage poignant) sur une sublime BO du groupe Explosions in the Sky. On n’est jamais vraiment dans la comédie, jamais dans le drame. Un peu au milieu, ou pas loin. En plein dans du très bon ciné, en plein dans la vie…

Prince-Avalanche-poster

2 thoughts on “Cahiers de cinéma - Entrée #13…”

  1. D'accord avec toi:"Inside Llewyn Davis" est un film qu m'a fait une grande impression! J'ai adoré le chat, New York en hiver, la musique, la douce mélancolie qui s'en dégage...! Un vrai bon moment. "9 mois ferme": hilarant! Sandrine Kiberlain est vraiment super dans des rôles comiques! (J'avais déjà beaucoup un autre film où elle joue déjà une juge d'instruction "Filles uniques" avec Sylvie Testud)
    J'ai raté "Prince of Texas"... Vraiment dommage, j'espère qu'on aura l'occasion de le revoir à Paris, à l'occasion d'un festival peut être...
    Benoît

  2. En fait, je découvre Sandrine Kiberlain. Avant, je n'y prêtais pas plus attention, mais je l'ai vue dans quelques films que j'ai vraiment appréciés (Les femmes du 6ème étage, les gamins) et elle a cette dualité touchante/terriblement drôle vraiment intéressante. Ce serait sympa que "Prince of Texas" ait une "deuxième chance". Il a été évincé rapidement, mais ce n'est pas surprenant : il faut libérer les salles pour les bouses de Marvel et consorts...

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