Été = vacances = partir. Loin. Une équation que t’as jamais vraiment remise en cause étant petit, comme 1+1 = 2 ou 11 (“et ça c’est beau !”) si t’es fan de Van Damme. Puis tu grandis, et tu pars un peu moins : tu restes bosser les deux mois à 31 jours histoire de… Et si t’as pas trop trainé en route, tu finis par avoir un vrai boulot et tu recommences à prendre la tangente pour les 2 ou 3 semaines syndicales. Été = vacances = partir à nouveau et tu vois pas comment il pourrait en être autrement. Surtout quand les statuts Facebook de tes potes et ta timeline Twitter regorgent de comptes à rebours et/ou de gens qui font des trucs trop géniaux dans des pays trop géniaux avec d’autres gens trop géniaux.
Mais en dehors des réseaux sociaux, il y a le vrai monde ! Et dans le vrai monde, y a plein d’enfants qui partent pas en vacances. 1 sur 3 dans l’Hexagone d’après les stats… Heureusement, le Secours Populaire organise chaque année la JOV : “Journée des Oubliés des Vacances” pour les éloigner du béton et leur filer de quoi remplir leur rédac’ de rentrée. Après le Champ de Mars en 2010, le cru 2011 c’était journée plage à Cabourg…
Je fais partie des gens qui ont trainé en route. J’ai pris le chemin des écoliers et forcément, à part 4-5 jours, j’ai pas quitté mon QG parisien cet été. Mais quand mon pote Bertrand m’a proposé de venir accompagner ces gamins, j’ai pas réfléchi très longtemps. Enfin si : mon hypothalamus était moyennement d’accord quand il a su que je devrais peut-être faire trempette. Mais ma zone de récompense l’a vite convaincu qu’il y avait plus que moyen de se marrer et a pris soin de zapper juste avant la météo des plages… Bon, je suis désolé, j’ai fait une Terminale S, alors avant que vous filiez sur Doctissimo pour décoder ce paragraphe, voilà mon récit !
“Sous les pavés, la plage”
Il est 5 heures, Paris s’éveille et moi aussi. Un réveil qui fait mal : ça faisait longtemps que j’avais pas vu 5 heures du mat’. Enfin après avoir dormi, parce qu’au bout de mes nuits blanches, on se croise assez souvent. C’est parti pour une journée plage à Cabourg avec des centaines, des milliers de gosses : lesdits “oubliés des vacances”...
La route de Cabourg passe par Bobigny. Je suis un peu le roi des trajectoires improbables depuis le fameux Les Lilas - Rio de Janeiro que je vous raconterai aussi un jour. Là, c’est quand même moins exotique et moins incongru : je dois rejoindre le point de ralliement pour prendre le car avec des enfants de Romainville. Ils sont 5 (Asa, Aminata, Fatima, Aboubakary et Wilfrid) et silencieux ; je suis pas le seul à avoir cédé sur le tard à Morphée. On passe récupérer le groupe de Bobigny (25 mioches supplémentaires, sans compter les animateurs). Le car. Ça aussi ça faisait longtemps. La dernière fois, c’était pour l’inénarrable Iguaçu - São Paulo : 16h30 de route avec les Gipsy Kings locaux qui écoutaient du Michel Sardou brésilien à l’arrière. Là c’est un peu pareil : le groupe de Bobigny met l’ambiance à base de zik enjouée et de flash mob. T’as déjà essayé de faire une choré debout dans un bus qui roule ? Bah eux ça leur fait pas peur !
On arrive assez vite à l’aire de repos qui sera notre seul arrêt avant Cabourg. C’est un joyeux bordel avec tous les bus séquano-dionysiens (La Courneuve, Livry-Gargan, Pantin…) et parisiens qui se sont aussi arrêtés. Mission toilettes pour ceux qu’en pouvaient plus et distribution du petit déjeuner pour tout le monde. Une espèce de colo géante sur une aire d’autoroute paumée entre Paname et la Normandie ! Imitation BN, madeleine et brique de jus de fruit Capri-Sun. Sun comme soleil… J’apprécie l’ironie alors que je grelotte dans ma chemise à carreaux doublée d’un beau t-shirt blanc de bénévole. La petite Fatima regarde son goûter fourré l’air chagriné : elle n’aime que le chocolat blanc. Tant pis…
Xavier nous rejoint et devient officiellement l’encadrant des jeunes Romainvillois dont j’avais temporairement la charge. Zélé, il va jusqu’à piquer ma place dans le bus auprès d’Aboubakary lorsque l’on remonte. Je me retrouve reclus et j’en profite pour commencer à écrire.
Le bocage défile derrière la vitre et les bleds au nom improbable se succèdent. On arrive bientôt. Michèle annonce au micro que nous allons être escortés par des motards de la police “comme le Président de la République”. Réponse d’un Balbynien : “On est tous des Présidents de la République !” C’est un peu ça ! Sauf que Michèle s’est légèrement avancée : les forces de l’ordre locales déboulent en Segway… Les derniers hectomètres des 230 bornes du périple sont les plus longs, d’autant que ça bouchonne à l’entrée de Cabourg : un étrange ballet d’autocars conduit par des membres du staff arborant un seyant t-shirt fuchsia. Patience. Je répondrais bien aux mômes que non, ce n’est pas la mer, mais l’embouchure de la Dives qu’ils voient, mais là plus personne n’écoute…
Il est quelque chose comme 12h30 quand on descend enfin du car. Un vent (frais) iodé nous accueille. La plage est bondée, mais pour une fois ça ne me gêne pas. Au contraire… Des tentes marabout ont été installées à raison d’une par département/fédération. Dessous et à l’entrée, les bénévoles s’affairent pour fournir le paquetage (draps de bain, crèmes solaires, brumisateurs et ballons) à chaque groupe arrivant. Synchronisation des montres et départ en mission : Aïssata et Céline – motivées – seront de baignade, Julia jouera les paparazzi à double détente (caméscope + APN), Michèle, Christine et Xavier resteront auprès des enfants et de mon côté, je vais me frayer un chemin parmi les serviettes de plage et les tongs pour prendre des photos.
Sur la plage c’est presque un deuxième débarquement de Normandie : tellement de monde ! Ça joue, ça chante, ça danse, ça crie, ça court, ça lit, ça vit quoi. Je sais plus trop où donner de la tête alors que je lutte pour avancer dans le sable avec mes tongs. J’essaie d’immortaliser ce que je peux, je cherche les meilleurs angles pour faire de belles photos, de beaux souvenirs à la hauteur de l’événement.
On se retrouve pour déjeuner. Au menu : sandwichs “triangle” thon/salade/emmental/mayonnaise, bagnat thon/crudités, paquet de chips “à l’ancienne” au sel de Guérande, beignet sucré et bouteille d’eau. Sommaire, mais personne ne se plaint. Si vous avez déjà mis les pieds dans un parc d’attractions, vous savez que ce sont toujours les adultes qui ont le trouillomètre au max. Alors que les petits n’ont que très rarement froid aux yeux quand il faut affronter les manèges à sensations pour lesquels ils font à peine le mètre quarante requis. Mercredi c’était pareil, la Manche c’est 17° si t’as de la chance. Traduction : si t’es pas fou, tu mets le pied et ça s’arrête là. Les petits, eux, foncent. Normal.
Nos voisins de plage – le groupe de Bobigny – continuent de mettre l’ambiance : la station d’accueil crache les décibels de morceaux stockés sur un iPhone et les animateurs s’improvisent profs de danse pour faire se déhancher le petit groupe qui n’attendait visiblement que ça. Partout ailleurs, c’est jeux de ballons, châteaux de sable, danse, initiation à la capoeira par un prof brésilien trop cliché mais trop cool avec son accent qui chante, un groupe stakhanoviste de gwoka, un autre latino qui rappelle Jarabe de Palo. Puis des jeux géants, des joutes de pétanque de plage animées, des parties de foot où tout est bon pour délimiter les buts : sandales, casquettes, etc.
À l’heure du goûter : barres céréalières pécan/chocolat, Kinder Country, Petits écoliers (sic) et jus d’orange. Toujours pas de chocolat blanc pour Fatima…
Puis on profite d’un temps calme pour leur glisser quelques cartes postales sur le recto desquelles ils sont censés consigner leurs impressions sur cette journée que l’on espère mémorable, et un espace au verso pour dessiner tout ce qui leur passe par la tête. Il y aura à boire et à manger : un rappeur en herbe qui nous laissera quelques lyrics, de beaux dessins plus ou moins fidèles selon que l’on considère ou non le vert comme la couleur idoine pour représenter le sable, puis des témoignages touchants de gosses qui voyaient la mer pour la première fois.
La journée touche à sa fin, et la distribution de livres qui précède le grand départ arrachera ce mot merveilleux à un p’tit mec : “On nous emmène à la mer et on nous apprend à lire : c’est mieux que l’école !” Que dire de plus ?
Il y aura une dernière frayeur avec l’intervention des pompiers pour un cas d’hypothermie (“- Elle est morte ? - Non, elle est en hypothermie ! - Bah faut la mettre au four !”). Fédération après fédération, on remballe puisque c’est l’heure de partir. Pas sûr que ce soit du goût des enfants qui ont les yeux dans le vague. Tristesse.
Je ne rentrerai pas en car, mais en voiture avec Bertrand. Je raccompagne quand même ma petite tribu jusqu’à son bus. Je mets les formes pour dire au revoir à des bambins auxquels je me suis vachement attaché mine de rien. Ils m’ont sûrement déjà oublié à l’heure qu’il est, mais l’enfance est ainsi faite.
Le dernier chapitre, c’est un Cabourg – Paris de mélomane en Twingo : Otis, Amy + guests… Ça devise sur les délires de la journée écoulée, les arcanes du Secours Populaire et nos mésaventures respectives avec la tambouille locale à l’étranger. Itinéraires bis, routes déviées, tunnel de la Défense, skyline du quartier d’affaires qui découpe le ciel de nuit et déjà Paris. On a croisé quelques cars en route, et si on avait du mal à apercevoir le visage des mômes derrière les vitres, ils ont probablement laissé une partie d’eux à Cabourg. Une ville jumelée avec Atlantic City, et pour ces gamins, je crois que cette journée c’était l’Amérique…
Long time no sea ... La lecture de ces lignes confirme que tu es gentil, généreux ... en bref un type bien.
Merci Brigitte, ça me semble important de donner un peu de temps (surtout lorsque l'on en a un peu comme c'était mon cas), et j'invite les gens qui me lisent à en faire de même !
As if I were there! Really nice one! Keep it up
Thanks Sharon, cheers!
Coucou Julien. Je suis encore très touchée par ce récit. J'étais comme eux en "cité" (tout étant relatif) dans une petite ville de Bretagne, et je n'étais alors jamais partie en vacances, j'aurais aimé rencontrer un Bertrand, un Xavier et Julien pour m'accompagner et m'emmener, non pas la mer, j'ai la chance d'y habiter... mais peut-être découvrir la Montagne. C'est magnifique d'avoir fait de votre mieux pour aider ces enfants avec autant d'humilité et de générosité.
Aujourd'hui, les années ont passé, j'ai eu mon anniversaire le 21, et cette semaine c'est un peu le bilan comme chaque mois d'août, mais je ne suis encore jamais partie en vacances, à fortiori, je n'ai toujours pas vu la Montagne !!! quelle ironie. Je ne m'en plains pas parce que je crois que j'aurais l'air triste du petit bonhomme du spot télé pour le secours catholique (je crois) qui écoute ses camarades raconter ce qu'ils ont fait pendant l'été.... et puis les gens me disent "tu as la mer à 5 minutes", c'est pas faux, c'est même très vrai, (sauf l'été c'est 30 minutes même en Bretagne !!! ah ah ah )mais aller à la rencontre des autres gens pour partager, ce serait cool !!!
et puis le mois d'août, c'est là que tout le monde s'active à ses "précieuses et méritées" vacances, à ses préparatifs. Que ce doit être excitant et agréable !!!!!
Merci Julien pour ce bel article, j'espère que la petite Fatima aura eu du chocolat blanc pour ses vacances 2012.
Merci, si vous avez lu jusqu'à la fin ce petit partage.
Il y a plusieurs façons de voyager, pas nécessairement physiquement et je pense/espère que tôt ou tard chacun y trouve(ra) son compte, y compris vous !