Vous connaissez l’histoire du type qui fait comme si rien ne l’atteignait, qui sourit la plupart du temps pour donner le change, qui dit que tout va bien parce que c’est toujours plus simple que de donner une explication, d’autant qu’il ne sait pas vraiment ce qu’il se passe dans sa tête, qui après des au revoir ne se retourne jamais, convaincu que c’est moins dur comme ça et que sinon, il aurait probablement une envie irrépressible de courir après celle qu’il vient de quitter ? Ce type, c’est un peu moi. Et l’an dernier, j’ai essayé de me convaincre que ça ne me ferait rien de passer les fêtes de fin d’année sans elle. Ça n’a pas marché. Couru d’avance…
Heureusement, dans la vie, il y a toujours un peu de joie dans la tristesse (et réciproquement). Un passage à Bruxelles, Noël mère-fille, et une envie de cinéma. La chanson, on la connait par cœur : “ça a l’air bien”, alors on tente. Sauf que non, ce n’est pas bien, un truc arty relou, mais juste avant, une bande-annonce, de belles images, de beaux plans, un titre anglais compliqué qui commence par The, une love story entre une nana tatouée et un mec barbu et musicien, c’est tout ce dont elle se souvient. Le palliatif à la mémoire qui flanche, c’est un moteur de recherche ; The Broken Circle Breakdown, c’est le nom du film. En allant voir une purge, elle a soulevé une pépite, mais on ne le sait pas encore. Ni elle, ni moi. Je regarde la fameuse bande-annonce et j’ai déjà envie de le voir. Sérendipité…
Il faut être patient : pas l’ombre d’un espoir d’une distribution dans l’Hexagone pour le moment. Des projections outre-Quiévrain, mais pour combien de temps encore ? Le film est sorti en octobre… Finalement, une escapade aux prémices de février : 3 jours, 2 nuits et une séance tardive au bien nommé Actor’s Studio le vendredi. Je redeviens étudiant le temps d’un passage en caisse et ça tombe bien, je dégaine mon anglais de fac pour prononcer les 4 mots magiques : The Broken Circle Breakdown, la langue entre les dents. Si le cadre est sympa, façon cinoche de quartier, le confort est sommaire, et l’écran à l’avenant. Mais peu importe le flacon… Ça commence. Ouverture sur un band de bluegrass au milieu duquel on découvre l’acteur principal, le fameux barbu. La photo est belle, la réalisation précise et élégante, je suis presque déjà conquis en moins de 7 minutes. Cinéma belge : 1 – speed dating : 0. Le reste de l’heure cinquante-et-une ne fera que confirmer cette première impression, je suis bouleversé par la puissance émotionnelle de ce que je viens de voir, d’autant plus abasourdi que rien ne m’y préparait. Je serre (très) fort sa main et nos silences alors que nos regards se croisent sont paradoxalement éloquents. Pas encore de mots à mettre, mais je fusille mentalement un groupe de mecs qui ricanent pendant la durée du générique. Pour la forme, parce qu’ils ne peuvent pas nous atteindre. Pas ce soir. On est trop loin…
Loin de chez nous aussi, et il faut rentrer à la fin de ce joli week-end, aller glaner un maximum de renseignements sur ce bijou, aller saouler les administrateurs des pages qui lui sont dédiées sur les différents réseaux sociaux… Pendant ce temps, le long métrage cartonne en festivals, pavane à Berlin et ce qui devait arriver arriva : Bodega Films en fait l’acquisition pour le marché français. On est début mars. À peine un mois plus tard, la date de sortie est fixée au 28 août. Quand vient la fin de l’été…
Au passage, il perd son titre original pour un Alabama Monroe certainement plus facile à prononcer. Je peste gentiment contre cette liberté, mais je me souviens (enfin le moteur de recherche dépanne à nouveau un souvenir imprécis) de cette tirade de Roméo et Juliette : “Qu’y a-t-il dans un nom ? Ce que nous appelons une rose sous un autre nom sentirait aussi bon.” et la jaquette du blu-ray que j’ai reçu d’un site belge tempère mes ardeurs de puriste…
Tombe alors l’annonce d’une “avant-première parisienne exceptionnelle” à la mi-juin en présence de l’équipe du film suivie d’un concert du Broken Circle Breakdown Bluegrass Band. Du confidentiel ciné bruxellois au Max Linder, de la petite rue des Bouchers aux Grands Boulevards, d’un rigoureux hiver à la promesse d’un été naissant, tout a changé. Pourtant, j’ai à nouveau cette poussière dans l’œil pendant toute la projection, le cœur serré et les joues humides de m’être battu avec cette satanée poussière. Le concert qui suit est au diapason (!), les chansons du film prennent vie. Le temps d’échanger quelques mots avec les deux acteurs principaux, des sourires, une photo, leur raconter notre histoire si particulière avec cette œuvre qu’ils ont portée, et nous voilà regagnant nos pénates bouleversés et émus. Encore. Ce soir-là, le surréalisme l’a disputé à la magie et à ce jour, ils ne se sont toujours pas décidés…
Au moment où j’écris ces lignes, il s’est passé 7 mois presque jour pour jour depuis que j’ai découvert The Broken Circle Breakdown/Alabama Monroe pour la première fois. C’est le temps qu’il m’a fallu pour pouvoir coucher cette chronique et je ne saurais dire pourquoi avec précision. Peut-être que j’ai attendu pour être sûr de ce que je venais de voir, peut-être que j’ai eu du mal à croire à ce miracle de cinéma…
Le synopsis ressemble à un vulgaire film français, mais il faut croire que l’herbe est plus verte (bleue ?) chez nos voisins parce que Felix Van Groeningen est passé par là, et avec beaucoup de style et d’élégance a fait de ce qui laissait présager un mélo lourdingue, un drame certes poignant, mais empreint de pudeur. La musique adoucit les mœurs parait-il. Ici, elle fait office de personnage secondaire et vient court-circuiter toute amorce de pathos. À elle seule, elle fait avancer le scénario. Il faut voir l’attitude d’Elise envers Didier (et inversement) évoluer au fil des prestations scéniques du groupe, et de l’état de leur couple. Ce couple prodigieux incarné par Verlee Baetens, lumineuse, et Johan Heldenbergh (auteur de la pièce de théâtre dont le film est une adaptation), incroyablement touchant. Il y a une alchimie extraordinaire entre eux qui va bien au-delà de l’intensité de leur prestation. On dépasse le jeu.
Quentin Tarantino est un adepte de la chronologie éclatée. Elle met en valeur des scènes qui seraient restées anecdotiques si elles avaient été montées dans l’ordre. À la manière de Derek Cianfrance sur Blue Valentine, Felix Van Groeningen utilise ce procédé, racontant alternativement l’amour naissant et le drame autour de la fillette. Cela permet de donner plus de force à ses images, mais également d’éviter le côté plan-plan et le crescendo dans le drame qui vire souvent à la surenchère.
J’ai du mal à parler de ce film en des termes techniques, d’une part parce qu’il n’y a pas grand chose à dire tant le boulot a été bien fait, et d’autre part parce que ce n’est pas à ce niveau que se situe l’enjeu. Je pourrais user de la langue de bois et vous dire que c’est un bien joli film, mais aussi que c’est la quadrature du cercle, le mouton à 5 pattes, un vrai miracle de cinéma et affirmer en pesant mes mots qu’il s’agit là d’un des plus beaux films qu’il m’ait été donner de voir. De toute ma relativement jeune existence, oui.
Je répète souvent qu’un film n’est autre qu’un canevas sur lequel on projette ses propres émotions, expériences et je crois que c’est ce qu’il s’est passé pour moi. Cette rencontre, c’est aussi la mienne. Je me suis reconnu dans le personnage de Didier, parce que le hasard a aussi mis une Elise sur ma route sans vraiment que je m’y attende. Lumineuse, comme les filles aux cheveux blonds peuvent parfois l’être. Alors le film me parle un peu plus, mais son langage est universel. L’amour, la perte, le deuil, la douleur, le manque… Un mélange de mots-clés grandiloquent qui ferait au mieux hausser les sourcils dubitativement. Peut-être, mais la tambouille de Felix Van Groeningen est meilleure que celle des autres. Munissez-vous d’un mouchoir – avec les poussières, on ne sait jamais –, et allez pousser la porte de sa crèmerie !
Dans le dernier Stephen King, 22/11/63, qui a été mon compagnon cet été, il répète tel un mantra que “la danse c’est la vie”. Parfois, la musique et le cinéma aussi…
Quel billet!! Très touchant. Certains films nous marquent à jamais effectivement!
Le film passe dans mon cinéma de quartier à partir de mercredi. Je vais y courir ;-)
Benoît G.
Merci ! Tu sais ce qu'il te reste à faire ! Et tu me diras quoi !
Je ne dois pas être la reine du ménage! Ou bien, dans le sud qui est mien depuis 25 ans maintenant, est-ce la faute aux portes grandes ouvertes aux papillons, voisins et amis, vents et poussières…
Toujours est-il que c’est presque un paquet entier que j’ai utilisé!
Il faut revoir votre prescription pour palier aux effets secondaires du film The Broken Circle Breakdown - Alabama Monroe.
Dès la fin de ma lecture de votre billet, je me suis fait une projection privée.
Il n’y a pas de mal à se faire du bien dit la sagesse populaire.
Et merci au streaming et aux volets qui me permettent de recréer dans mon bureau une salle obscure où je peux renifler sans gêner mes voisins.
Touchée! En plein coeur… Et cela fait du bien.
La musique, les personnages, les acteurs…
Langage universel, existenciaux.
A chacun sa blonde lumineuse, son ours barbu et chevelu. Singulières expériences communes
Ne se sentons pas aussi terriblement vivant à l’occasion de “l’amour, la perte, le deuil, la douleur, le manque”… Et pas seulement…
A vous lire (vos billets se font rares et d’autant plus appréciés…) j’ai plaisir à sentir vibrer cette part que j’imagine d’un(e) humain(e) tellement humain(e).
Du coup envie à mon tour de partager cette pépite. Et donc j’organise la semaine prochaine une projection du film entre amis. Si le mistral vous pousse jusqu’ici, il y a toujours du pop corn pour le passant qui passe sans cravate.
Wally
Hello Wally, merci pour votre passage et votre message. J'espère que la projection a fait de nouveaux conquis ! Si le vent se lève et se décide à pousser mes 75 kg peut-être atterrirai-je vers chez vous. En attendant, je vous remercie pour cette gentille invitation...