Carnet d’Euro 2020 – Entrée #1 : “Il suffira d’Insigne…”

Voilà, c’est parti ! Après quatre cinq (trop) longues années d’attente, Alessandro Nesta et Francesco Totti, flanqués d’Andrea Bocelli et du groupe de la Police d’État italienne mobilisé pour l’occasion, ont donné, le 11 juin 2021, le coup d’envoi officiel de la XVIe édition du Championnat d’Europe des Nations. De football, oui. Dans un stade avec de vrais gens dedans et tout et tout. Un honnête spectacle de fin d’année, dont la brièveté ne fut pas le moindre des mérites, préambule idoine à une première rencontre d’abord cadenassée par la pusillanimité des hôtes, puis débridée après le repos. Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, c’est la première entrée de ce carnet d’Euro. Pendant 31 jours, vous allez voir avec mes yeux. Je vous préviens, je suis toujours myope, et bonjour la buée sur les verres avec le masque…
Comme un symbole, l’organisation romaine a convié Francesco Totti et Alessandro Nesta, conscrits nés dans la ville éternelle, légendes vivantes de la Roma et de la Lazio, respectivement. Ils étaient présents le 8 juin 2002 lorsque l’Italie s’était inclinée en huitième de finale face à l’un des 2 pays organisateurs du premier Mondial asiatique de l’histoire, la Corée du Sud. Le but vainqueur avait été inscrit au bout de la prolongation par Ahn Jung-hwan. Une réalisation qui aurait pu (dû ?) rester anecdotique – au-delà du retentissement de l’élimination d’un favori par un outsider – si l’auteur n’était pas prêté au club de Pérouse au moment des faits. En réaction, son président déclara “Je n’ai pas l’intention de payer le salaire de quelqu’un qui a ruiné le foot italien.” Il retirera ces propos, mais le mal était fait : Ahn refusa de s’engager définitivement avec Pérouse. Quelle susceptibilité, n’empêche ! Parti en catastrophe, il prit le premier train pour Busan – la formation avec laquelle il était sous contrat – avant de poursuivre sa carrière au Japon.
19 ans après, la Turquie se présentait à Rome, comptant dans ses rangs plusieurs éléments évoluant en Serie A. Sans doute échaudé par le précédent susmentionné, l’un d’entre eux, Merih Demiral, a marqué du torse le premier but de cet Euro, contre son camp, plaçant idéalement sa sélection sur la voie d’une défaite aussi large que logique…

Opening-Ceremony_Euro-2020

Le 11 juin, c’est aussi le jour qu’avaient choisi Frank Morris, Clarence et John Anglin, en 1962, pour se faire la malle d’Alcatraz. Cette tentative d’évasion a été immortalisée sur la péloche d’Escape from Alcatraz, avec Clint Eastwood. Les prisonniers, eux, n’ont jamais été retrouvés, présumés morts noyés.

Criminalité, toujours, et corruption, plus précisément, si vous vous demandez d’où provient l’idée saugrenue de cette organisation inédite à travers tout le continent, sachez qu’elle émane de Michel Platini, alors président de l’UEFA, en juillet 2012 : “Ça marquerait le 60e anniversaire de l'Euro, ça se ferait dans 12-13 villes dans toute l'Europe. L'idée me plaît énormément, et la grande majorité du comité exécutif a trouvé que c'était une très belle idée.” La Covid-19 aussi, Michel. Le summer tour passera finalement par 11 villes hôtes : Amsterdam, Bakou, Bucarest, Budapest, Copenhague, Glasgow, Londres, Munich, Saint-Pétersbourg, Séville et Rome, chargée d’accueillir le match d’ouverture ainsi que de la cérémonie du même nom, sobrement rebaptisée “Triomphe de l’Euro”, pour l’occasion. S’agit-il de l’intitulé ou d’une feuille de route de l’in$tanc€ sise à Nyon ?

“Ciao Roma ! Ciao Euro !”

Les ultimes secondes des presque 1800 jours écoulés depuis la clôture du  dernier Championnat d’Europe sont matérialisées par un compte à rebours. Les vainqueurs des éditions précédentes sont mis à l’honneur par de courtes pastilles vidéo, de l’URSS (1960) au P******l (2016) – si tant est que quelqu’un soit en mesure d’attester l’existence de cette finale, non chroniquée en ces pages. CQFD.

Les festivités sont lancées par Alessandro Nesta et Francesco Totti. Ils s’échangent le premier ballon (officiel) de cet Euro – Uniforia, contraction de “Unity” et “Euphoria” –, de part et d’autre de la ligne médiane du Stadio Olimpico.

Ils cèdent rapidement la place au groupe de la Police d’État italienne ; 86 musiciens alignés dans une formation en 1-6-6-6-6-6-6-6-6-6-6-6-6-6-6 un poil ambitieuse. Les percussionnistes attaquent tambour battant le Guillaume Tell de Gioachino Rossini. Parallèlement, on assiste à l’arrivée de ballons géants à l’effigie de chacune des 24 nations qualifiées. Les sphères sont accrochées au dos de danseurs se mouvant en une chorégraphie à mi-chemin entre le revival tecktonik et le kata de dresseur Pokémon.

Par la grâce de la réalité augmentée, d’autres ballons semblent sortir des fondations de l’enceinte pour s’envoler vers les cieux. Le rendu est si réussi que l’on en vient à souhaiter que la pelouse s’entrouvre véritablement afin que la personne responsable de cette animation puisse y élire domicile et ne jamais en ressortir.

Les feux d’artifice, comme c’est joli, comme c’est con, comme ça annonce (parfois) Andrea Bocelli. Costume 3 pièces en camaïeu de bleu, nœud papillon assorti, lunettes fumées, cheveux grisonnants impeccables et barbe de 3 octaves (c’est comme une barbe de 3 jours chez les barbiers de Séville), le ténor entonne Nessun Dorma, air extrait du Turandot de Giacomo Puccini. “Que personne ne dorme !”, dans la langue de Keen’V ; injonction superflue vu le jeu séduisant développé par la Squadra. En arrière-plan, une danseuse grimée décolle avec les ballons sur les itérations de “Vincerò !”. Le feu d’artifice, reprend de plus belle – Oh, t’as vu, c’est la taxe d’habitation du Trastevere ! –, la fumée s’abat en un brouillard épais sur l’Olimpico, le transformant en vulgaire bar à chicha un samedi après-midi. Nullement perturbé, l’intermittent du spectacle tient la note finale pendant 72 minutes environ, plus de temps que la Turquie ne tiendra, elle, le 0-0. Frissons…

“Yeah, I hardly know you, can I confess? / I feel your heart beatin' in my chest / If you come with me / Tonight is gonna be the one.”

De la musique avant toute chose.” La (grande) musique, c’était Bocelli ; toute chose, c’est l’hymne officiel de la compétition : We are the people, dont le dévoilement est scénarisé en un concert virtuel enregistré en motion capture dans un studio londonien. Les coupables : dans le coin gauche, Martin Garrix, platiniste ; dans le coin droit, The Edge et Bono, la moitié du “plus grand groupe de rock du monde”, d’après une station de la bande FM. Il n’y a pas tout (tout) U2. Un hologramme macrocéphale du philanthrope irlandais apparait, les paroles défilent sur les tribunes fictives… Ça cause d’army of lovers et je ne sais quoi d’autre ; mon anglais sait nager, mais pas dans le sucre. Bref, des trucs de scientologues accros aux cigarettes qui font rigoler et aux tweets rédigés par Alexandre Jardin. Du Coldplay, en somme. Ouais, bah Coldpause et surtout Coldstop, de grâce. Il fait beaucoup trop chaud pour la soupe…

 

Turquie-Italie_11062021


TURQUIE 0-3 ITALIE
/ DEMIRAL (CSC) 53’, IMMOBILE 66’, INSIGNE 79’

Le 11 juin 2000, Turcs et Italiens s’étaient déjà affrontés pour le compte de la première journée de la phase de groupes de l’Euro belgo-néerlandais. Sous le soleil d’Arnhem, la Nazionale, accrochée, s’était imposée sur un penalty simulé et transformé par Filippo Inzaghi. Auparavant, Okan Buruk avait répondu à Antonio Conte, auteur d’une reprise acrobatique.

La squadra è mobile

Dès la fin des hymnes, Grégoire Margotton communique son enthousiasme : “Oh, quand on voit ça, on a envie que ça commence, tout simplement !” Mais oui, Greg, nous au… Ah, pub ? Bon…

Ubérisation de la société oblige, le ballon de la rencontre se pointe en VTC. La conduite de balle du véhicule télécommandé est impeccable. Quelqu’un a essayé de mettre des piles dans Anthony Martial ?

L’entame de match est assez timide. Le 4-3-3 des locaux se heurte au 4-1-4-1 prudent des Turcs.

18’ : Une-deux entre Lorenzo Insigne et Manuel Locatelli. La frappe enroulée du premier, pied trop ouvert, ne présente aucun danger pour Uğurcan Çakır.

22’ : Corner sortant frappé sortant par Insigne. À la réception, Giorgio Chiellini est seul au point de penalty. Son coup de tête oblige Çakır à une somptueuse claquette, du bout des doigts.

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Euphratello d’Italia

53’ : Long dégagement turc. Chiellini hérite de la balle, s’appuie sur Leonardo Spinazzola sur sa gauche, pour transmettre à Locatelli devant lui. Le numéro 5 trouve Nicolò Barella entre les lignes. Barella décale Domenico Berardi sur le côté droit. Ce dernier profite de la perte d’appuis d’Umut Meraş pour apporter le surnombre dans la surface de réparation et centrer fort vers Ciro Immobile. Sur la trajectoire, Merih Demiral dévie le ballon du torse dans les filets de sa propre équipe. Un beau cadeau de la part du défenseur central de la Juventus. Merih Christmas. (0-1)

66’ : Barella, chassé par deux adversaires dans sa moitié de terrain, s’en sort admirablement en trouvant Locatelli de l’extérieur du pied. Contrôle passe pour Spinazzola sur la droite, qui laisse à Insigne. L’ailier retrouve Barella plein axe, nouveau décalage vers Berardi, comme sur l’ouverture du score. Cette fois-ci, le joueur de Sassuolo cherche Spinazzola, seul à l’opposé. Contrôle orienté de la poitrine pour éliminer son vis-à-vis, puis demi volée sortie d’une belle manchette par le portier. Hélas ou heureusement, selon que vous aimez votre croissant saupoudré de grains de sucre ou nature, sur le drapeau, Immobile a bien suivi et s’applique pour placer le cuir hors de portée de Çakır. (0-2)

79’ : Mauvaise relance au pied du gardien turc, rendant littéralement le ballon à Berardi. Berardi pour Barella. Barella pour Immobile. Immobile pour Insigne. Le tout en 2 touches max. Parfaitement décalé, le Napolutin trouve le petit filet de sa spéciale. (0-3)

53’, 66’, 79’ : 13 minutes entre chaque pion, admirez la précision d’horloger suisse !

Davantage que le résultat, il faut saluer la manière. La Squadra Azzura a rendu une copie enthousiasmante, au moyen d’un jeu porté vers l’attaque, enfin délesté de ses sempiternelles obsession défensive et malice tactique.

Dans la nuit romaine, une petite étoile brille un peu plus que les autres : celle d’Ennio Morricone, grand amateur de football et tifoso de la Roma devant l’Éternel. Sûr qu’il aurait apprécié les chevauchées fantastiques de Leonardo Spinazzola, pensionnaire des Giallorossi. Buona notte, Maestro!

À tantôt…

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